Résumé:
Nous avons constaté que l’écriture de Maissa Bey n’est pas seulement celle de
l’urgence. C’est surtout l’expression d’une parole axée principalement sur le corps
des femmes. Et c’est ce que nous avons essayé de démontrer tout au long de notre
analyse.
L’écriture de Maïssa Bey est un savant mélange entre histoire collective et
histoire personnelle. C’est à travers l’évolution dans le temps que notre écrivaine
place ses personnages féminins. Nos deux romans d’étude s’étalent depuis
l’indépendance du pays jusqu’au coeur des années 90 et au-delà. C’est dire le choix
de notre écrivaine de faire sienne l’histoire avec un grand H de l’Algérie.
Maïssa Bey associe dans la plupart de ses romans la mémoire collective avec la
mémoire individuelle. Nous serons même tentés de dire que la mémoire du corps est
celle qui prédomine dans ses écrits. Les textes de Maïssa Bey font partie des
ouvrages qui essayent de dire la violence tout en essayant d’aller jusqu’aux sources
du mal. Le contexte socio-culturel et politique dans lequel évoluent les personnages
est régi par les mêmes procédés envers les femmes. Que ce soit dans les années 60
ou dans les années 90, la femme est à chaque fois victime de l’emprise de l’homme
et de sa violence. Le premier roman de Maïssa Bey, Au commencement était la mer,
nous présente une jeune fille qui va subir dans sa chair la douleur et l’abandon.
Maïssa Bey, nous présente des femmes perdues, aliénés et souvent torturés. Dans
une société qui évolue dans un présent plus tourné vers le passé que vers l’avenir, la
douleur des femmes est omniprésente à chaque instant dans ses récits. C’est ainsi
qu’afin d’expliquer cette situation problématique, Maïssa Bey revoit les
mécanismes qui génère la violence envers les femmes. Elle essaye à travers l’étude
d’un très grand nombre de personnages féminins, de déceler les éléments qui relient
tous ces actes de violence. Il faudrait préciser par ailleurs que la violence dans ses
récits, est généralisée et touche une grande frange de la société. C’est les grands
bouleversements de l’histoire qui vont modelés le quotidien des femmes. Le recours
à l’histoire afin d’expliquer les évènements collectifs et aussi personnels, est
palpable dans l’écriture de Maïssa Bey.
Nous avons constaté également que Maïssa Bey va mettre en contexte la violence
et ses différents aspects. Elle va parler de despotisme et d’autoritarisme dans une
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société gangrénée par la corruption. Cependant, le travail de notre écrivaine n’est
pas axé sur le macrocosme de la violence. C’est à travers l’intimité et le ressentie
des femmes esseulées et abandonnées qui se construit la trame narrative imaginée
par notre écrivaine. Elle met en scène une société rongée par l’avarice, le népotisme
et les brimades. La femme est décrite le plus souvent comme un être qui se bat
contre des spectres tapés dans l’ombre. C’est dire l’ampleur du mal à partir duquel
se construit la tragédie des personnages féminins chez Maïssa Bey.
Le silence des femmes et le dénigrement ainsi que le refoulement font offices de
matrices à partir desquelles se forment les différents récits. Chaque récit est une
mise en abyme, qui introduit le lecteur dans les petits détails d’une vie de malheur
et de combat. Les femmes dans les récits de Maïssa Bey se battent contre
l’exclusion et l’oubli. Que ce soit dans la maison familiale, dans un asile ou dans les
lieux de travail, la femme est continuellement en quête de reconnaissance.
Sur le plan socio-historique, Maïssa Bey est constamment en train d’essayer de
réinscrire dans son véritable contexte, l’exclusion des femmes. La mémoire des
femmes devient la clé de voute pour comprendre le lien entre le corps comme
réceptacle de la violence masculine et l’histoire du pays.
Il faudrait souligner également l’importance pour Maïssa Bey de comprendre
l’évolution de la violence durant les années 90. Une évolution qui va de pair avec
une régression au niveau des libertés de la femme. Faire une jonction entre le passé
et le présent est significatif d’une caractéristique intrinsèque à l’écriture de Maïssa
Bey.
L’indépendance du pays a mis fin à des années de guerres et d’exactions qui ont
été marqués par l’usage systématique de la violence. Ces atrocités ont généré une
aptitude à la violence qui permet au dominant d’instaurer sa suprématie sur le
dominé. Le corps souffrant des femmes fut le plus souvent le théâtre des horreurs
commises durant la guerre de libération. C’est cet épisode douloureux de l’histoire
du pays que les algériens ont vécu une seconde fois durant la décennie noire.
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L’écriture de Maïssa Bey s’inspire donc, de la réalité afin de construire son
univers romanesque. Le manque d’objectivité par contre, rend son écriture plus
personnelle. C’est ainsi qu’on constate que l’écriture chez elle, générée par une
situation difficile, lui permet de dire sans tabous la réalité des choses. Elle nous
transmet à travers ses écrits l’honnêteté d’une observatrice qui montre à vif le vécu
des femmes. Un vécu qui continue de suscité plusieurs questionnements qui ne
demandent qu’à être développer dans des travaux à venir.